Paul 6 ans.
Je sortais comme tout les jours
de ma séance de nettoyage. Du moins c’est comme ça que l’appelaient les médecins,
parce que moi, je ne me suis jamais trouvé plus propre en en ressortant. Au
fait ! Je m’appelle Paul, j’ai 6 ans et je suis atteint d’une maladie du
sang. On me dit souvent qu’il est sale et qu’un jour à force de me nettoyer je
n’aurais plus assez de petits vaisseaux pour porter les bulles d’air dans mon
corps. Ou quelque chose comme ça, je ne sais pas très bien. Mais moi je ne vois
pas trop le problème, je me dis que les bulles d’air c’est pas lourd, et
costaud comme je deviens, je me débrouillerais bien à les porter moi-même.
Curieusement, ça a le don de faire pleurer ma mère. C’est bête une mère, ça
pleure pour rien. Après ma séance de nettoyage, je file dans ma chambre. Souvent ma tête tourne, j’ai l’impression d’avoir été lavé de l’intérieur. Mais je sais que c’est pas possible de faire passer du savon dedans alors je ne pense plus à des bêtises et je m’endors. Et quand je me réveille dans les draps blancs de ma chambre blanche, j’enfile toujours un grand tee.shirt blanc pour aller jouer au fantôme avec mes copains. C’est un jeu qu’on a inventé, parce qu’avec tout ce blanc on ne voyait pas trop quoi faire d’autre. A part se faire de jolis dessins sur les blouses pour les rendre plus jolies, mais ça fait froncer les sourcils des infirmières. Alors on joue dans les couloirs et on fait les fantômes. Un jour, assommé après une
nouvelle séance de nettoyage, j’ai vu un grand monsieur arriver. Il a dit qu’il
s’appelait « docteur clown », d’ailleurs il avait une drôle d’allure.
Amusé je me suis finalement endormi un sourire sur le visage. Bizarrement, j’ai
rêvé de clown. Si bien que quand je me suis réveillé je ne savais plus très bien
si ce docteur clown était un rêve ou si je l’avais réellement vu. J’ai mis mon
grand t.shirt blanc et j’ai couru rejoindre mes copains fantômes dans notre
salle de jeu. Les couloirs, on avait plus le droit, parce qu’on nous disait que
même le rire des enfants ça faisait trop de bruit ici. Il était la… le docteur clown
était la. Je n’avais pas rêvé. Il avait étalé une quantité incroyable de sacs avec
des jeux, des costumes, des livres et des instruments de musique. Chaque petit
fantôme a commencé par parler un peu de lui et des jeux qu’il aime. Ca fait
bizarre, ici on ne parle pas de nous et de ce qui nous amuse, comme dessiner
sur nos blouses ou courir dans les couloirs parce que personne ne trouve ça
amusant à part nous. Le docteur clown il ne s’intéresse qu’a ça. Il ne veut pas
savoir pourquoi on est ici et dit que ça n’a pas d’importance parce qu’ensemble
on allait s’évader. Moi, s’évader je sais pas ce que ça veut dire, mais je
crois que c’est quelque chose comme pouvoir faire ce qu’on veut. Tous les jours avant ma séance de
nettoyage, le docteur clown vient me réveiller. C’est les matins que je préfère
parce qu’il me dit toujours que l’après midi, on ferra des choses formidables
tous ensemble. Et moi je le crois, parce qu’avec tous les sacs qu’il a amené,
on ne peut faire que des choses formidables. Je crois que c’est les après midi
avec le docteur clown que j’ai préféré : il nous a d’abord appris des
chansons rigolotes. Et après il nous a donné a chacun un petit instrument. On
était comme une vraie chorale. Alors on s’est dit que comme on s’amusait bien,
on pourrait passer dans les chambres de ceux qui ne sont pas des enfants, parce
que eux, jamais ils s’amusent et ça doit être drôlement ennuyeux de jamais
s’amuser. Les médecins ont dit que c’était
une très bonne idée et nous ont félicité. Ils disaient que faire des choses
comme ça, c’était aussi beau que faire ce que le docteur clown faisait pour
nous. Bof, moi je trouve que ces choses la, c’est juste de l’amusement. On a
surtout beaucoup ri quand, avant de passer dans les chambres on a décidé de
mettre des costumes. Ca change du t.shirt de fantôme ! Même que les
adultes ont trouvé ça très bien, ils souriaient, ils nous embrassaient et
chantaient avec nous. C’était super. Mais super fatiguant. Je n’étais peut être
pas assez costaud pour porter tout seul mes bulles d’air finalement. Le docteur clown a été très
gentil. Et pour la première fois il m’a demandé pourquoi j’étais la alors je
lui ai parlé de mes bulles d’air et de mon sang. Il a fait une drôle de tête,
je crois qu’il n’a pas très bien compris. Mais il a dit qu’il m’aiderait et
qu’il me porterait moi et mes bulles pour que j’aille à la séance de nettoyage.
Parce que lui, il est très fort. Et même si les séances me faisaient mal et me
fatiguait, il restait avec moi et me racontait des histoires fabuleuses qu’il
avait appris dans des livres de contes. Ca se voyait que c’était des histoires
mais au moins lui je l’écoutait. Parce que je savais qu’il ne me mentait pas
comme tout les autres et leurs histoires de nettoyage et de bulles. Parce que
lui, quand il était la ça me faisait du bien. Pas comme ma mère qui passait son
temps à pleurer. Le lendemain, on a décidé avec
tout les copains fantômes de se fabriquer d’autres costumes alors on a pris
ceux du docteur clown et on les a tous mélangés. Il y avait un habit en cuir et
un petit casque. Je croyais que c’était pour faire le pompier, et puis
finalement un matin, j’ai vu le docteur clown arriver avec le même déguisement.
Il m’a expliqué qu’il était motard. Motard ? C’est ceux qui font plein de
bruit et qui ont des machines qui brillent et qui sont aussi belles et aussi
grosses que celles qu’on voit dans les dessins animés. J’ai trouvé ça super
cool. Alors le matin j’ai décidé que je n’attendrais plus qu’il vienne me
réveiller mais que j’attendrais à la fenêtre pour le voir arriver, déguisé en
motard. Mais ce que je voulais voir surtout c’était sa moto. Et elle était
grosse et très brillante. Très vite, on lui a demandé si il avait d’autres déguisements aussi cool que celui du motard. Et il nous a expliqué que ce n’était pas un déguisement mais que la moto c’était dangereux et qu’il devait se protéger. Evidemment ! Tout est toujours dangereux avec les adultes. Et je croyais que le docteur clown avait oublié d’être adulte lui au moins. J’étais un peu déçu mais je lui
ai quand même demandé un jour après une séance de nettoyage très fatiguante si
je pouvais voir sa moto. Très gentiment il a accepté. Il m’a alors porté sur
son dos et m’a amené jusqu'à l’entrée ou il l’avait garée. Le soir, les autres
étaient jaloux parce que j’étais le seul à avoir vu cet engin de dessin animé
et que j’avais fait un dessin pour m’en souvenir. Alors le lendemain on y est
tous allés ensemble. Et on se battait presque pour être le premier le matin à
mettre le déguisement du motard. Sans oser demander si nous aussi on pouvait
monter sur la moto et aller rouler un peu. Mais doucement. Et juste un peu.
Juste pour voir ! Et puis un matin, les infirmières
nous ont dit qu’on aurait une surprise dans la journée. Alors je suis allé
courageusement à ma séance de nettoyage pendant que ma mère continuait à
pleurer dans ma chambre. Et quand je suis revenu, elle discutait avec le
docteur clown qui venait d’arriver. Il avait apporté un autre petit costume de
motard et nous a dit que cet après midi, on ferrait le tour de l’hôpital avec
lui. Ca m’a drôlement étonné qu’on nous laisse faire quelque chose d’amusant et
de dangereux. Mais c’était peut être justement ça la surprise ! Tour à
tour, on a mis le fameux costume qu’on s’arrachait tout les matins et une
infirmière nous a aidé à monter à l’arrière de la grosse moto. Elle faisait un
de ces bruits ! Le docteur clown a dit qu’on devait se tenir à lui, et que
si quelque chose n’allait pas, il fallait qu’on lui donne une tape. Quand mon
tour est venu, ma mère m’a fait un coucou comme quand on monte sur un manège.
D’ailleurs, ça faisait longtemps que j’étais pas monté sur un manége, la moto
ça doit être pareil je pense. Mais en fait, c’était encore mieux parce que
quand il accélérait c’était super, et quand il prenait un virage aussi. C’était
un peu court mais tout s’est bien passé. Sauf quand je suis descendu et que
j’ai enlevé le costume, je me suis senti bizarre. Comme si je n’avais jamais été
aussi libre que pendant ces quelques minutes, et comme si mes jambes ne me
portaient plus. Je crois que c’est mes bulles d’air qui d’un coup étaient
devenues encore trop lourdes. Je suis parti de nouveau me faire nettoyer. Toujours aucune trace de savon dedans, ni dehors d’ailleurs. Mais ce que je suis fatigué ! Le soir on a recommencé à chanter dans notre salle de jeu. De nouvelles chansons très jolies. Il parait que c’était le docteur clown qui les avait écrites et il jouait à la guitare en même temps. Quand je suis retourné dans ma chambre j’ai pensé à ces chansons qui parlaient d’enfant et de vie. La mienne n’était pas toujours très rigolote je me sentait très fatigué. Et d’un coup, je suis tombé… En revenant à moi, j’étais allongé avec des tas de machines autour de moi, des infirmières, ma mère et le docteur clown aussi. J’ai eu peur mais je ne l’ai pas montré. J’ai juste fait semblant de m’endormir et de ne pas entendre que les infirmières disaient à ma mère que ça serait ma dernière nuit. Enfin je crois parce que j’étais comme dans du coton. Le docteur clown pour me distraire sûrement me parlait et me demandait ce que je voulais faire plus tard. Je n’avais plus peur, même si les oreilles bourdonnaient, même si je tremblais de froid, puis de chaud et que ma bouche se séchait. J’ai juste répondu « motard ». Et n’aillant plus aucune force, j’ai fermé les yeux pour de bon. Kashaya© Le 22/07/2004 |