In Extremis.
Nice, le 29 janvier 2000, 14h. "- Nous sommes très inquiets pour votre petit, sans cette greffe de cœur nous n'avons pas beaucoup d'espoir. " Cette phrase vient de résonner dans la chambre du petit Rémy, son père assis à ses cotés vient de faire tomber ses bras le long de la chaise sur laquelle il est assis, impossible de se lever, un poids énorme vient de se poser sur ses épaules. L'action se déroule dans un hôpital niçois, le petit Rémy qui souffre d'une malformation cardiaque n'a plus que 24 heures pour recevoir une greffe, seule chose à faire pour le sauver. Les responsables de l'hôpital fouillent les bases de données d'organes, et découvrent après quelques minutes qu'un cœur compatible est disponible depuis quelques minutes dans une clinique rennaise, mais ce n'est pas la porte à côté, 1300 km séparent les deux établissements. Comment faire ? C'est un hiver rude, la météo locale a cloué au sol tous les avions, tous les hélicoptères, aucun décollage n'est possible, la voie des cieux est à bannir. Le temps passe, il est déjà 14h30. Les autorités épluchent toutes les solutions sans succès. Et au fur et à mesure que les minutes s'égrainent les espoirs se font de plus en plus minces. Pourtant il en existe un et un seul, dans la prison de Rennes séjourne depuis environ sept mois, un prisonnier particulier, un ancien pilote moto d'endurance, qui purge une peine, la perpétuité, il a été inculpé du meurtre de sa femme, meurtre pour lequel il nie toute implication. Il est maintenant 14h45, on demande à Giacomo s'il est d'accord pour effectuer cette mission, avec pour unique contrôle, un collier explosif qu'il doit porter, ce collier se déclencherait au moindre écart de la route prévue. Giacomo après quelques hésitations finit par accepter, ne demandant en échange qu'une chose : la révision de son procès. On accepte cette faveur seulement en cas de réussite, l'enjeu est trop important. Vingt minutes plus tard, Giacomo se retrouve devant la prison, tout équipé, on finit de lui sceller le collier, on lui tend sa feuille de route très importante, route qu'il ne doit pas quitter sous peine de perdre la tête, ainsi que le sac à dos contenant le petit cœur emballé dans une mallette cryogénique. La moto est là, une Ducati 996 préparée, une moto qu'il connaît bien pour avoir gagné beaucoup de courses avec. Le directeur de la prison est là, il lui serre la main en lui disant : "- Bonne chance, ça devrait être une formalité. " Il est 15h30 au moment où il se met en route, il n'a pas roulé depuis 7 mois, les automatismes et réflexes reviennent peu à peu, il avale les kilomètres en ne pensant qu'à cet enfant qui l'attend de l'autre côté de la France. Le brouillard est bel et bien présent rendant la progression nettement moins rapide qu'à la normale, et ce n'est que vers 19 heures qu'il arrive dans la ville de Tours. La faim et la fatigue commencent à se faire sentir, la nuit précédent son départ il n'a pas dormi beaucoup, pensant comme chaque nuit depuis son incarcération, à sa femme disparue et à son petit garçon qui s'était retrouvé à la DDASS. C'est pour ça que cette mission était très importante pour lui, il y avait en fait deux petits garçons à sauver, ainsi que sa dignité. Malgré toute sa détermination, il sentait bien que ses yeux commençaient à se fermer, que le froid commençait à engourdir ses mains, ses pieds, l'air devenait très froid. Ce n'est qu'une fois arrivé à Montluçon qu'il décide malgré tout de dormir un peu, il n'aurait aucune chance d'arriver au bout sans se reposer. C'est dans la gare qu'il trouve un peu de chaleur. Il règle sa montre sur 90 minutes de sommeil. C'est long pour Rémy mais c'est court pour Giacomo qui se réveille sans avoir l'impression d'avoir dormi. Il doit repartir, il est maintenant environ 23 heures, il fait chauffer la moto, rechausse ses gants froids et son casque en se disant que beaucoup doivent souffrir plus que lui. Il est sur motivé, ses forces sont décuplées par la vision qu'il a de son fils, il a dû grandir depuis sept mois qu'il ne l'a vu. La route jusqu'à Lyon se passe sans encombres et c'est vers 1 heure du matin qu'il y passe sans faire escale. En arrivant vers Vienne il s'arrête dans une station service pour y faire le quatrième plein de son périple, il s'immobilise devant la pompe quand deux gendarmes s'approchent de lui. Ils lui demandent ses papiers, Giacomo les fournis à l'un des deux qui lui demande de ne pas bouger en attendant son retour, celui ci lui prend les clefs de la moto afin d'éviter toute fuite. Le policier revient l'arme au poing, le somme de le suivre, ils ont consulté leur foutu ordinateur et ont découvert que Giacomo devrait être à l'heure qu'il est en prison à Rennes ! Il essaie de leur expliquer, mais ils ne veulent rien savoir, ils gardent leur prisonnier comme une pépite qu'on vient de trouver. S'ils savaient ! Au bout de deux heures, le téléphone de leur voiture sonne, un des deux gendarmes va répondre. "- C'est bon vous pouvez y aller." Et voilà deux heures de perdues, deux heures monstrueusement importantes, deux heures à rattraper. Il repart en se disant que ça va être de plus en plus dur, qu'il risque de tout perdre à cause du zèle de deux gendarmes ! En arrivant à Marseille vers 5 heures du matin, il se dit que finalement, il reste un espoir. Il fait très froid, mais Giacomo ne sent plus rien, il est transcendé. Il roule sans encombres et sans escales jusqu'à sa destination finale qu'il atteint vers 8h30. Il trouve l'hôpital, se gare et tend le sac à une infirmière venue l'accueillir. Il est exténué, vidé, fatigué mais heureux, ça ne dépend plus de lui. Elle saisit le précieux sésame, le bébé est déjà dans le bloc, tout est prêt pour l'intervention. Giacomo décide de rester pour connaître le verdict de l'opération et ce n'est que quatre heures plus tard qu'on lui annonce que c'est une réussite, que le bébé va vivre ! Un sourire éclaire son visage, comme celui du papa de Rémy et cette main tendue par ce papa si heureux, restera la plus belle victoire de sa vie. Une semaine plus tard la révision de son procès prouvera son innocence, il décidera alors de consacrer sa vie aux transports d'organes urgents. Je raconte cette histoire avec tellement d'images réelles gravées dans ma tête. Je rêve souvent que je suis Giacomo, j'aurais tellement aimé que la mienne finisse de cette façon... dommage que ce putain de destin en ait décidé autrement. Si seulement il était juste, des tas d'histoires pourraient finir aussi bien. Surtout n'oubliez jamais que les plus belles victoires de la vie ne finissent pas tout le temps dans les journaux, n'hésitez jamais à attraper une main qui se tend, même si c'est celle de votre ennemi. Nous devons montrer à ce monde égoïste que nous n'acceptons pas le chemin qu'il nous ouvre. © Fabio qui pense tout le temps à son p'tit gars. |