RETOUR
Etre
plus fort que soi.
Le téléphone sonne, je décroche, c’est Nicolas mon
meilleur ami, qui m’invite à une balade, une de plus, nous roulions souvent
ensemble. Nico était pour moi comme un frère, un ami de toujours, on était
toujours là l’un pour l’autre. Rendez-vous fut pris et nous nous retrouvâmes en ce
matin plein de soleil, pour une explication fraternelle sur le bitume de
quelques routes offrant toutes les conditions requises pour cela.
Nico roulait un vieux 1100 gsxr et moi je
traînais sur un stinger que je connaissais par cœur, depuis quatre ans déjà
j’avais appris à le comprendre, je connaissais les moindres de ses réactions,
ainsi que ses limites, et depuis tout ce temps aucun incident n’avait émaillé
cette entente. Je pouvais en dire
autant de mon amitié avec Nico, lui, je le connaissais depuis une dizaine
d’année, on avait d’abord traîné sur des mobs, avant de passer le permis
ensemble.
La balade se passe
parfaitement, le soleil est toujours là, au loin, une série de virages annoncés
par un panneau, dessine sur nos visages un sourire, une petite arsouille se
précise. Le signal est donné et nous voilà en train d’essorer la poignée un peu
plus fort, je suis devant mais je sens la présence de Nico juste derrière moi,
j’adore cette pression, je contrôle régulièrement dans mon rétroviseur,
peut-être trop souvent d’ailleurs, car déconcentré par cela, Nico en profite
pour me passer par l’extérieur dans un virage à droite qui se referme. Me voilà
derrière, plus besoin de contrôler, juste se concentrer pour reprendre la tête,
c’était un jeu sans fin, mais tellement bon. L’occasion se présente, au bout d’une ligne droite je
décide de freiner plus tard que lui, je vois son feu s’allumer, je me décale, le
passe, et là, je m’aperçois que je n’aurai pas le temps de ralentir suffisamment
pour négocier ce virage à gauche. Je freine quand même et commence à pencher, la
moto, sous l’action du frein avant se couche, nous voilà parti en glissade, je
vois arriver devant moi une glissière soi-disant de sécurité, une du type pas
accueillante du tout, une qui va laisser des traces. Juste avant celle-ci un mini talus me fait décoller, me
projetant encore plus vite et plus fort, et, sans calculer je vois bien que la
glissière va heurter mon bassin, puis …………..le trou noir……………..
Je reviens à moi, essaye
d’ouvrir les yeux mais mes paupières sont très, très lourdes, petit à petit, un
voile blanc apparaît, la lumière me fait mal, et ce n’est qu’au bout de quelques
minutes que ma vue s’éclaircit, je commence a réaliser que je suis dans une
chambre d’hôpital. Je me souviens
d’un accident mais j’ai oublié les détails, je suis là, vivant, avec un mal au
crâne terrible, une floppée de tuyaux est reliée à mon bras.
J’ai du mal à faire des gestes avec mes bras
engourdis et endoloris, j’ai une drôle de sensation, comme si mon corps
s’arrêtait à la hauteur de mon bassin, je ne sens pas mes jambes. Je soulève les
draps et je les vois pourtant, mais n’arrive pas à leur ordonner le moindre
geste. C’est alors qu’un homme en
blouse blanche franchit le seuil de la porte, il m’apprend que je suis là depuis
quarante et un jours, qu’un coma profond vient de se terminer et qu’un choc avec
une glissière de sécurité m’a laissé vivant mais non sans séquelles.
Je ne pourrai plus me servir de mes jambes, le
docteur était catégorique. A ce
moment là, du haut de mes vingt-six ans, je me sentis réduit à néant, comme si
on venait de m’écraser tel un insecte, je ne pouvais pas réaliser que je ne m’en
servirai plus, je me dis que je ne pourrai plus vivre. Qu’allais-je devenir ?
J’étais abattu et me disais que rien ne pourrai plus fonctionner, rien……….. Des
larmes coulaient sur mes joues, je demandais à rester seul, je voulais
mourir.
Le lendemain, j’ai la
visite de Nico. Il va sans dire que je n’ai pas dormi de la nuit, je ne peux
m’empêcher de penser à tout ça, je n’arrive pas à manger, ni même à réfléchir.
J’ai même du mal à sourire face à Nico, et pourtant, sa présence me
réconforte. Il me dit qu’il est
content de me voir vivant, qu’il est content de pouvoir me parler, il avait
pensé sur le moment que l’accident m’avait tué. Jamais il ne me parla de mes
jambes, jamais il ne faisait allusion à mon infirmité, il me parlait comme
avant, comme si rien n’avait changé, comme si le plus important pour lui était
que je sois là. Il resta une bonne
partie de la journée, puis passa me voir tous les jours, avec mes parents et ma
sœur, pendant les trente jours d’hospitalisation qui suivirent.
C’est lui d’ailleurs qui s’occupa de me
ramener chez moi le jour de ma sortie, ou plutôt chez mes parents vu que j’y
vivais toujours, avec mon nouveau moyen de transport. Un fauteuil roulant que
j’avais du mal à manier, je me cognais partout avec, j’avais mal au bras à force
de tirer sur les roues, vraiment cette nouvelle vie ne m’offrait que des
inconvénients. En arrivant, Nico
m’emmène dans le garage pour me montrer les restes de ma moto et là je reste
abasourdi par le tableau. Un amas de ferraille méconnaissable gît dans un coin,
vraiment j’ai du mal à reconnaître mon stinger, je suis
effondré.
Dans les jours qui
suivirent, impossible de retrouver un peu de moral, impossible de retrouver un
peu de joie de vivre, même malgré les encouragements permanents de Nico. Le cœur
n’y est plus, moi qui vivais la vie si fort, me voilà réduit à l’état de
légume. Je refusais de sortir, je
refusais de vivre.
Pourtant un matin, Nico frappe a ma porte,
m’explique qu’il faut absolument que je vienne avec lui, qu’il a quelque chose
de très important à me montrer. Je refuse de le suivre d’abord puis sous
l’insistance je me résigne. Que veut-il me montrer ? Nous voila en route pour le garage de Nico, il est
mécano à son compte. En chemin je suis triste et jaloux de voir tous ces gens
marcher, conduire, courir, faire leurs courses, aller au travail, alors que moi
je suis privé de tout cela. Vraiment je me sens fini, je n’ai plus rien à faire
ici. Arrivé chez lui, Nico me parle
d’une surprise. Quelle surprise pouvait me faire plaisir à part peut-être celle
de me rendre mes jambes ? Non franchement j’avais du mal à paraître
heureux. Il pousse la porte et je
me retrouve devant un kart, je me retourne vers Nico et lui demande si c’est ça
sa surprise ? Il me répond que oui, qu’il avait conçu l’engin pour moi, qu’il
l’avait adapté en fonction de mes possibilités. J’étais effectivement surpris et je ne voulais pas le
décevoir mais, comment voulait-il que je conduise cet engin ?
Il m’explique qu’en fait, moi je n’aurai qu’à
m’asseoir dedans et que le pilotage se fait entièrement au volant. Un bricolage
astucieux renvoie l’accélérateur derrière le volant à la main droite et le frein
par le même principe à la main gauche.
Nico passera me prendre Dimanche pour m’emmener sur une
piste voisine, pour faire un essai. Moi je lui faisais comprendre qu’il ne
fallait pas trop en attendre, car franchement je ne me sentais pas motivé du
tout. Dimanche est là, je suis
installé au volant du kart. De la main droite je presse sur l’accélérateur,
l’engin se met en mouvement, quelques tests des mains gauches et droites, ça
marche ! Au fil des tours j’arrive
à vaincre une peur que je n’avais jamais ressentie avant, celle de la vitesse.
Chaque accélération fait remonter en moi de mauvaises sensations, qui finalement
s’estompent pour se transformer en plaisir. Et quand la séance se termine, je suis déçu et pressé
d’être à nouveau Dimanche. Car Nico m’a promis de me faire renouveler
l’expérience tout les dimanches. Comment le remercier ?
Après quelques mois, j’ai envie de goutter à de
nouvelles choses, j’ai envie de me mesurer aux autres, de faire des courses, de
me battre, d’un défi quoi. Ayant le
kart bien en main, je me sens prêt a cela. Me voilà inscrit au championnat régional, Nico s’occupe
de la mécanique, et bien sur il me conseille, m’encourage, me soutient. Il est
là à chaque course. Les résultats
sont différents et irréguliers mais jamais de podium. Peut importe l’important
c’est de participer et de s’amuser. Sur les onze premières courses du championnat, je fini
au mieux à une cinquième place.
La dernière course du championnat est là, dans dix
secondes le départ va être donné. Pour moi, peu importe le résultat car je ne suis pas
vraiment classé dans les bons, mais tant pis je donnerai le meilleur de moi
même. Et le meilleur, ce jour-là,
était sans aucun doute de la partie. Au 28eme des 30 tours que compte la course je me
retrouve second. Encore 2 tours à tenir et cette deuxième place serait une belle
récompense pour moi, je saurai m’en contenter. En passant devant les stands, je vois Nico en train de
sauter en l’air de joie, me faisant des signes pour m’encourager à continuer et
pour me faire comprendre que l’homme de tête n’est pas si loin de
moi. Là, à ce moment, je sens que
je peux le faire, en deux tours, je grappille quelques mètres à chaque virage,
je freine un peu plus tard au bout de chaque ligne droite. Je le vois devant
moi. Au milieu du 30eme tour je suis juste derrière lui, il ne peut rien faire
contre mon envie de gagner, je le dépasse avant de passer la ligne d’arrivée en
première position. Et là je vois la
foule se lever et m’acclamer, je suis sur un nuage. Les autres pilotes s’approchent de moi, certain lèvent
le pouce, d’autres me tapent dans le dos en me disant bravo, d’autres me serrent
la main. A ce moment-là, j’ai compris que je pouvais toujours être quelqu’un
comme tout le monde. Deux ans après mon accident je renaissais.
Nico me prend dans ses bras pour monter sur la
plus haute marche du podium, je regarde son visage, sur ses joues coulent des
larmes. Je regarde la coupe que j’ai dans mes mains et la lui tend, c’est à lui
qu’elle revient. Ma victoire est
notre plus belle victoire, je la dois à Nico. Il me dit même qu’il est tellement
heureux de me voir ainsi, qu’il a l’impression de me voir encore plus fort
qu’avant l’accident. Ce n’est pas
une impression, MERCI Nico, grâce à toi j’ai gagné cette course contre la
vie…….
Cette histoire
nous montre que grâce à une amitié forte et sans faille et que si on arrive à se
dire que l’on peut être plus fort que soi, que, même privé des choses que l’on
croit vitales, rien ne peut nous empêcher de vivre intensément.
J’ai eu l’occasion de côtoyer, de parler, de
partager des moments, avec ceux qu’on appelle les « handicapés », et
franchement, à force de les traiter comme ça, ils vont finir par croire qu’ils
le sont. Ces gens-là sont des
géants, ils pourraient nous donner des leçons de courage, je ne dis pas que ça
doit être facile pour tous, mais moi, je les admire.
© Fabio
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